Aujourd’hui, le Réseau national du droit au logement et le du Réseau national des femmes pour le logement et l’itinérance ont publié un ensemble de trois rapports de recherche sur la façon de réaliser le droit humain à un logement adéquat au Canada par le biais du droit et des politiques. Ces documents, commandés par le Bureau du défenseur fédéral du logement, offrent des recommandations concrètes en matière de politiques et détaillent comment le Canada peut mettre en œuvre une approche du logement fondée sur les droits afin de respecter ses obligations en vertu du droit national et international.
par Sahar Raza, Michèle Biss, Bruce Porter, et Kaitlin Schwan
Aujourd’hui, aux côtés du Réseau national des femmes pour le logement et l’itinérance, le Réseau national du droit au logement a publié trois documents importants sur la façon d’appliquer et de réaliser le droit à un logement adéquat au Canada – y compris des analyses, des recommandations et des détails sur ce que ce droit humain signifie pour l’avenir du droit et de la politique du logement.
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Voici ce que vous devez savoir.
Le Canada a des obligations internationales de faire respecter les droits économiques et sociaux comme le droit à un logement adéquat depuis des décennies – mais il a été profondément réfractaire au respect de ces droits pendant des années, surtout en comparaison avec d’autres pays riches.
En 2019, le gouvernement du Canada a fait un pas de plus et s’est engagé, dans la législation, à respecter le droit au logement par le biais de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement (« la Loi », ou la LSNL). La LSNL de 2019 exige que le gouvernement du Canada élabore une stratégie nationale du logement conforme au droit au logement. Deux ans auparavant, en 2017, le Canada avait présenté une Stratégie nationale sur le logement (c’est-à-dire « la Stratégie », ou la SNL), qui incluait le « droit au logement » mais ne développait pas tout à fait l’application de ce droit. Les engagements de la LSNL à l’égard du droit au logement sont importants, car ils ouvrent la porte à une nouvelle ère de lois et de politiques de logement fondées sur le droit au logement au Canada !
La vérité est que, au Canada, les systèmes de logement actuels sont intrinsèquement brisés, et qu’ils ont besoin d’un changement sérieux et transformateur – le genre de changement qui ne peut être réalisé que lorsque nous cessons de nous concentrer sur un secteur immobilier puissant et même sur le nombre d’unités de logement disponibles, et que nous nous concentrons plutôt sur les personnes qui vivent réellement dans un logement ou qui sont sans abri (c’est-à-dire les demandeurs de droits).
Le droit au logement est plus qu’un toit au-dessus de votre tête, c’est une question de dignité. Il s’agit du bien-être de la personne. C’est le droit et le principe de base sur lesquels doivent reposer nos lois, politiques et programmes en matière de logement et d’itinérance.
C’est pourquoi le nouveau système de droit au logement créé par la Loi sur la stratégie nationale sur le logement ne fait pas appel aux tribunaux pour rendre justice. Au lieu de cela, il utilise une « approche dialogique » qui est beaucoup moins contradictoire et définitive qu’une affaire judiciaire. Il permet aux demandeurs d’exercer leur droit au logement en présentant ce que nous appelons des « revendications systémiques » (c’est-à-dire les grands obstacles qui sont à l’origine de la crise du logement au Canada). Dans ce système, les demandeurs de droits sont impliqués dans un processus participatif et en constante évolution où leurs droits sont constamment valorisés et amplifiés – et ils jouent un rôle central dans l’élaboration de recommandations visant à changer le système de logement qui, nous le savons, est défaillant.
En pratique, ce système dialogique dépend d’un défenseur fédéral du logement qui recevra et enquêtera sur les réclamations systémiques, et fera des recommandations au ministre des Familles, des Enfants et du Développement social, qui doit répondre dans les 120 jours. Le défenseur fédéral du logement a également la possibilité unique de soumettre des cas à un comité d’examen, composé de trois membres du Conseil national du logement, qui tiendra des audiences publiques sur les cas systémiques. Les recommandations issues de ces audiences seront également transmises au ministre, qui devra à nouveau répondre dans les 120 jours, mais par le biais d’une réponse déposée à la Chambre des communes et au Sénat. Pour plus de détails sur le contexte substantiel du droit au logement et la nature transformatrice de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, consultez le document de Bruce Porter intitulé « Mise en œuvre du droit à un logement convenable en vertu de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement : Le cadre international relatif aux droits de la personne ».
D’où vient le droit au logement ?
Il est important de se rappeler que le droit au logement n’est pas un concept abstrait et qu’il ne signifie pas que le gouvernement a l’obligation d’acheter une maison à tous les Canadiens. Comme pour tous les autres droits de la personne (comme le droit à la liberté d’expression ou le droit de ne pas subir de châtiment cruel et inhabituel), il existe tout un cadre juridique que les autorités internationales, comme les Nations Unies, explorent et sur lequel elles écrivent depuis des décennies.
La Loi sur la stratégie nationale du logement fait spécifiquement référence au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (que le Canada a signé en 1976), et s’engage en particulier à la « réalisation progressive du droit au logement ». Ces engagements s’accompagnent de normes internationales telles que l’obligation pour le Canada de consacrer « le maximum de ressources disponibles » au logement et à l’élimination de l’itinérance, et ce par « tous les moyens appropriés », y compris « l’adoption de mesures législatives. » Cette exigence doit être appliquée parallèlement aux autres obligations du Canada en matière de droits humains, par exemple pour les personnes autochtones en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (l’organe indépendant des Nations unies qui examine à tous les cinq ans la conformité du Canada et des autres pays avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) a fourni des conseils concrets sur ce que cela signifie en pratique. Par exemple, ils ont déclaré que les gouvernements ont l’obligation de prévenir les expulsions vers l’itinérance dans la mesure du possible. Il est important de noter que dans le contexte de l’itinérance, le Canada a l’obligation d’adopter des objectifs et des échéanciers pour la réduction et l’élimination de l’itinérance dans les plus brefs délais – ce qui signifie que nous avons également besoin de mécanismes pour aborder les obstacles systémiques au logement. Cela fait également partie de l’engagement du gouvernement envers les Objectifs de développement durable (certains les connaissent peut-être sous le nom d’ODD), dans lesquels nous avons promis d’éliminer l’itinérance d’ici 2030.
Un autre concept important que les Nations unies ont mis de l’avant est la norme du « caractère raisonnable » pour déterminer dans quelle mesure les actions d’un gouvernement sont alignées sur la réalisation progressive du droit au logement. Lorsqu’on réfléchit à la façon dont le droit au logement s’applique au Canada, la norme du caractère raisonnable nous incite à poser des questions comme celles-ci : « le gouvernement s’est-il engagé avec les personnes concernées pour élaborer des solutions aux grands obstacles systémiques au logement ? » ou « les différents niveaux de gouvernement coopèrent-ils entre eux et partagent-ils leurs obligations en matière de droits de la personne ? »
Mais qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Comment cela va-t-il réellement changer la vie des gens ?
Outre les nouveaux mécanismes de revendication des droits prévus par la LSNL, la loi crée également une exigence selon laquelle les politiques de logement (et notamment la Stratégie nationale sur le logement de 2017 mentionnée précédemment) doivent être conformes au droit au logement. Les autorités des Nations unies encouragent le Canada à établir une stratégie de logement fondée sur les droits depuis des décennies, et ont également élaboré des critères sur ce à quoi ressemble et ce que signifie une véritable stratégie de logement fondée sur les droits.
Dans le document intitulé « Mise en œuvre du droit au logement au canada : Élargir la stratégie nationale sur le logement », les auteures Michèle Biss et Sahar Raza décomposent les éléments d’une stratégie de logement fondée sur le droit tels qu’ils sont décrits dans le droit international des droits humains – et proposent une analyse de la stratégie de logement actuelle du Canada en fonction de ces normes internationales. Ce document constate que de nombreuses critiques formulées à l’égard de la SNL par les défenseurs des droits, la société civile et les experts universitaires sont directement liées à l’absence d’une approche fondée sur les droits. Par exemple, les investissements inadéquats du Canada dans le logement à faible revenu peuvent être liés au fait que le Canada n’a pas respecté les normes du caractère raisonnable et du maximum des ressources disponibles. De plus, les données sur le logement au Canada peuvent être mieux ventilées afin de s’assurer que les efforts programmatiques en matière de logement soutiennent ceux qui en ont le plus besoin, et pour s’assurer que les ressources soient disponibles pour les demandeurs de droits afin de présenter des demandes systémiques (conformément aux obligations du Canada en matière de droits de la personne de fournir un accès à la justice).
Concrètement, ce document tisse les recommandations de la société civile avec les lignes directrices et les normes internationales en matière de droits de la personne pour recommander que le Canada prenne des mesures fondées sur les droits, telles que :
- S’assurer que les investissements en capital et les autres investissements dans la Stratégie nationale sur le logement soient augmentés pour répondre à la norme d’un maximum de ressources disponibles, particulièrement pour les programmes visant à réduire les besoins impérieux de logement et l’itinérance, qui sont des priorités urgentes en matière de droits de la personne ;
- Créer des mesures par le biais de la Stratégie pour lutter contre la financiarisation et l’érosion des logements naturellement abordables existants. Cela comprend des actions concrètes pour mettre en œuvre des politiques financières qui empêchent les grandes sociétés d’investissement et les acteurs financiers comme les sociétés d’investissement immobilier (REIT) d’exploiter davantage le marché du logement ;
- Recadrer les politiques de la SNL pour répondre aux besoins des populations qui ont été exclues de la liste des populations prioritaires de la SCHL. Il s’agit notamment de mesures spécifiques visant à remédier aux problèmes de logement inadéquat et d’itinérance chez les personnes qui ont eu des démêlés avec le système de justice pénale, les personnes ayant un statut d’immigration précaire, les personnes handicapées qui ont besoin d’un logement et de services de soutien connexes pour vivre de façon autonome dans la communauté, les travailleurs migrants, les femmes à faible revenu et les aidants naturels seuls, ainsi que les communautés rurales et éloignées.
- Veiller à ce que les détenteurs de droits soient intégrés dans la conception, le suivi et l’évaluation des programmes du SNL.
Qu’est-ce que cela signifie pour des groupes marginalisés spécifiques comme les femmes et les personnes de sexe différent ?
Le droit au logement s’applique aux groupes marginalisés de manière distincte, tout comme les expériences de la crise du logement au Canada sont distinctes. Une approche fondée sur les droits met l’accent sur les personnes les plus durement touchées par la crise du logement au Canada, par exemple les personnes handicapées, les personnes de couleur et les Autochtones.
Dans le contexte canadien, les femmes, les filles et les personnes de sexe différent constituent l’un de ces groupes, les recherches indiquant que nombre d’entre elles vivent dans des logements précaires ou dangereux en raison de l’iniquité et de la discrimination. Il y a une grave pénurie de logements abordables et appropriés qui répondent aux besoins des femmes et des familles dirigées par des femmes au Canada, et ces groupes connaissent des niveaux disproportionnés de besoins impérieux de logement et de pauvreté. Beaucoup d’entre elles restent piégées dans la pauvreté ou dans des situations d’itinérance cachée, ce qui les expose au risque d’exploitation et d’abus tout en rendant leurs besoins invisibles pour les soutiens, les systèmes et l’élaboration des politiques de la société civile. Il en résulte des violations généralisées du droit au logement qui sont profondément liées au genre.
Dans le document intitulé « mise en œuvre du droit au logement pour les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre au canada », rédigé par Kaitlin Schwan, Mary-Elizabeth Vaccaro, Luke Reid et Nadia Ali, les auteurs explorent comment les inégalités fondées sur le sexe au sein de quatre programmes de la Stratégie nationale sur le logement sont incompatibles avec le droit au logement. Par exemple, Reaching Home (le principal programme de la SNL visant à réduire l’itinérance) a cherché à donner la priorité à la lutte contre l’itinérance chronique dans ses programmes, et le discours du Trône de 2020 a engagé le gouvernement fédéral à mettre fin à l’itinérance chronique au Canada. Cependant, la définition de l’itinérance chronique utilisée par Reaching Home a été critiquée parce qu’elle ne tient pas compte des façons dont les femmes vivent l’itinérance. Ce manquement contribue à des investissements inéquitables pour les femmes sans abri et à de graves lacunes dans les soutiens, les services et les logements d’urgence. À ce titre, l’effet de la définition actuelle de l’itinérance chronique contrevient à l’obligation du gouvernement de garantir l’égalité matérielle et la non-discrimination dans le domaine du logement.
De même, le document note que le Fonds national de co-investissement dans le logement ne définit pas de cibles, d’échéances ou d’indicateurs clairs quant à son impact sur les femmes et les personnes de sexe différent, y compris les groupes qui subissent une discrimination intersectionnelle et les formes les plus graves d’instabilité du logement au Canada (par exemple, les familles dirigées par des femmes réfugiées qui fuient la violence). Cela empêche le suivi continu des progrès réalisés dans la concrétisation du droit au logement pour ces groupes et rend difficile l’évaluation de l’atteinte de l’objectif global de la SNL, qui consiste à consacrer 25 % de ses ressources aux femmes et aux filles.
Quelle est la prochaine étape ?
Alors qu’un nouveau gouvernement fédéral se forme, il existe des possibilités incroyables d’utiliser la Loi sur la stratégie nationale sur le logement pour transformer nos systèmes de logement. Par exemple, pour que le droit au logement devienne une réalité, les réclamations systémiques doivent être présentées par les ayants droit au défenseur fédéral du logement (dont la nomination est prévue dans les 100 jours), avec le soutien des défenseurs de la société civile. Et alors que la Société canadienne d’hypothèques et de logement procède à un vaste examen de la Stratégie nationale sur le logement, la société civile peut faire pression pour que des changements soient apportés afin de transformer véritablement notre système de logement défectueux en un système centré sur les personnes directement touchées par l’itinérance et le besoin de logement.
La Loi sur la stratégie nationale sur le logement rend le droit au logement plus accessible, et nous disposons déjà des outils nécessaires pour transformer nos systèmes de logement et d’itinérance défaillants.
Pour en savoir plus, consultez les documents intitulés:
- « Mise en œuvre du droit à un logement convenable en vertu de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement : Le cadre international relatif aux droits de la personne » par Bruce Porter
- « Mise en œuvre du droit au logement au Canada : Élargir la stratégie nationale sur le logement » par Michèle Biss et Sahar Raza
- « Mise en oeuvre du droit au logement pour les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre au Canada » par Kaitlin Schwan, Mary-Elizabeth Vaccaro, Luke Reid, et Nadia Ali